2 livres pour instruire les Apprentis et les Compagnons

Devenir un Franc-maçon instruit...

         

            Abonnement Gratuit                          Cliquez sur les étiquettes pour accéder à la commande

Les Secrets de la Loge n°13


MANUEL DE SURVIE POUR APPRENTI MAÇON VOULANT DÉMISSIONNER

Interview de Franck Fouqueray – Membre de la G.L.M.M.M.

 

Franck Fouqueray, vous venez d’écrire le « Manuel de survie pour Apprenti maçon voulant démissionner », quel est votre message à l’attention de ces apprentis déçus ?

Mon idée première est de leur dire que leur Loge mère n’est aucunement une erreur de casting, qu’il s’agit du parfait endroit pour grandir, mais qu’ils ne le savent pas encore. Il convient donc de bien observer et de travailler sur le sens de leur « parachutage » dans ce lieu. Dans le premier chapitre du Manuel, je leur dis la chose suivante :

Rassurez-vous, à l’heure où vous lisez ces lignes, vous n’êtes pas le seul franc-maçon à vous dire « c’est pire que dans le monde profane, j’arrête tout ! ». Car avouez-le, avant votre Initiation, vous aviez de hautes attentes quant à la Franc-maçonnerie.

Très rares sont les franc-maçons qui sont entrés en Loge l’esprit totalement vierge d’attentes et d’illusions. En règle générale, chacun de nous a intellectualisé, pour ne pas dire fantasmé, le moment de son Initiation. Quel que soit notre état d’esprit, cette épreuve reste d’ailleurs un moment inoubliable de notre vie, même si le Vénérable Maître et son Collège étaient un tantinet maladroits quant à la théâtralité de cette épreuve. Souvenez-vous de ce moment tant attendu, lorsque le Tablier vous fut passé, puis que les Gants Blancs vous furent enfin remis. Souvenez-vous le jour de votre Initiation, vous avez eu peur de mal faire. Juste un léger excès de politesse avec ceux qui savent, les gradés, les anciens en somme. Vous étiez impressionnés et enfin, vous avez reçu la Lumière. Quel souvenir mémorable… avant de déchanter ! Car les mois ont passé, les habitudes se sont installées.  Vous avez fini par retrouver au sein de la Loge ce que vous déploriez au dehors, les mêmes problèmes, les mêmes défauts et pire… les mêmes individus. En d’autres termes, les premières déceptions sont apparues. Tout cela s’est produit sans que vous ne vous en rendiez compte. Tout a commencé par l’écart de langage d’un Maître, ou peut-être une instruction annulée par le Second Surveillant, juste une heure avant la réunion, sans que vous ne soyez préalablement prévenu. Il s’est peut-être aussi agi d’un jumeau ou d’une jumelle qui échappe systématiquement aux corvées lors des travaux de table, sans que votre Surveillant commun ne le lui fasse remarquer. Les raisons sont certainement nombreuses et totalement recevables.

Il n’en fallut pas plus pour commencer à éveiller vos soupçons et faire naître quelques méfiances envers ce qui promettait d’être un monde idéal de Fraternité et de Solidarité. Le monde rêvé en somme, celui du « Un ». Celui que tant de maçons recherchent… celui de la fusion. « On m’avait dit que la Franc-maçonnerie était un réseau de gens puissants, je m’attendais donc à autre chose ! ». Qui n’a jamais entendu ce propos désabusé dans la bouche d’un Frère ou d’une Sœur dont la bavette est encore levée ?

Les réponses des anciens sont invariablement les mêmes : « Si tu travailles, tu comprendras. C’est toujours comme ça quand on commence, il faut être patient, tu es Apprenti. » Or, les mois passent et parfois les choses empirent. Il faut donc agir vite, fuir ou réagir. Alors, sans rien dire aux anciens de la Loge, on a toujours un bon copain, membre d’une Loge tellement plus fraternelle, qui nous invite à lui rendre visite pendant ses travaux, très discrètement bien entendu. C’est vrai que sa Loge est beaucoup plus agréable. Il m’avait prévenu avant d’arriver, « Tu verras, tout le monde s’entend bien et se respecte. Les Apprentis font même un travail très profond sur le symbolisme. D’ailleurs, une fois par mois ils présentent une planche à leur Surveillant, lors de la réunion d’instruction. ».

Commencent alors à naître les regrets. Vous vous dites : « Mais que diable suis-je allé faire dans cette fraternelle galère ? » en songeant que votre Loge n’est certainement pas celle que vous méritez. Le directeur de casting a certainement dû se tromper. Pourquoi les trois enquêteurs ne vous on t-ils rien disent ? Il est maintenant temps de migrer chez votre ami au plus vite. Vous savez, cette magnifique Loge où tout le monde s’entend bien. Car une fois que vous serez là-bas, vous pourrez enfin trouver ce que vous êtes venu chercher : la réelle Fraternité !

Si cette question vous hante depuis quelque temps, pas de panique, cela se soigne. Ce petit guide va vous aider à survivre dans cet environnement hostile, qui résulte de ce que vous croyez être une erreur d’aiguillage. Je parle bien entendu de votre arrivée dans votre Loge mère. Les réponses ne seront peut-être pas celles que vous attendez, mais comme le disait une Sœur, qui avait traversé son Afrique natale pour venir s’asseoir à mes côtés : « On ne peut pas remplir un bol qui est déjà plein ». En d’autres termes, ouvrez votre esprit et laissez-vous surprendre par des points de vue encore inconnus ou inattendus. De toutes les façons, vous n’avez rien à perdre et vous avez même songé à démissionner. Alors asseyez-vous, restez dans le silence de l’Apprenti, respirez par le nez et savourez ces quelques pages que vous allez parcourir. Il est possible que votre parachutage initial ne soit pas si mauvais que cela, mais il est encore trop tôt pour en parler…

Voila comment je démarre le Manuel. J’explique dès le départ que le choix de la Loge n’est jamais un accident, c’est une expérience à vivre jusqu’au bout, au risque de passer à côté du message que nous sommes venus chercher. La Franc-maçonnerie, on ne le dit jamais assez, est totalement holistique. Celui qui vient consommer de la Loge comme on achète du Prozac repart forcément déçu. Comme l’a souligné le journaliste du Blog maçonnique de l’Express François Koch : « …au GODF, on comptait 2869 nouveaux membres en 2013 et seulement une progression de 484 frères… donc 2385 démissions et décès. » Cela démontre bien que si les attentes sont fortes, les désillusions sont nécessairement en conséquence. Dans notre monde d’ultra-consommation la maçonnerie est encore un des rares espaces où prendre son temps trouve un réel sens.

- Comment expliquez-vous ce nombre de démissions

La raison n’est ni simple, ni unique, elle est multifactorielle. Je dirais que les principales causes se résument à des attentes qui tournent essentiellement autour du mythe du franc-maçon tout puissant. Quand on est bercé à longueur d’année par une information qui nous rappelle qu’entrer en Franc-maçonnerie, c’est s’ouvrir à la vie facile, aux contacts avec les puissants de ce monde, aux forces occultes de l’Univers… cela créé de la désillusion lorsque tombe le bandeau le jour de l’initiation. Quand un profane lit année après année des articles de presse lui rappelant que 10 % des gradés de la Police sont francs-mac… Lorsqu’il apprend que grâce à la franc-maçonnerie, il pourra lui aussi participer à des parties fines dans des grands hôtels luxueux... lorsqu’il découvre que la Franc-maçonnerie peut élever dans la même journée du grade d’Apprenti au 33 degré un Président africain dont le père avait lui aussi suivi le même chemin… vous imaginez ce qui se passe dans la tête de ce postulant, qui comme beaucoup, rêvent de pouvoir et de vie facile.

Le problème de notre société se résume à trois mots très simples : « quête de valeurs ! »

Lorsqu’un enfant grandit avec pour seule ambition de devenir Zidane ou Justin Bieber, comment voulez-vous glorifier ensuite le travail sur soi et l’élévation spirituelle ? Quel sens peut prendre pour lui le mot de « Fraternité » ?  De surcroit, cet enfant va ensuite allumer son téléviseur, ou se connecter à Internet, pour apprendre que tel Ministre, Franc-maçon, un élu de la République, se parjure et dissimule des sommes indécentes dans des paradis fiscaux. Quel modèle de droiture et de probité donnons-nous là ?

Il est donc tout à fait normal qu’une grande quantité de postulants arrivent avec une idée totalement erronée de ce qu’ils vont trouver en Loge. Lorsqu’on leur enlève le bandeau, qu’ils découvrent à droite puis à gauche des visages totalement inconnus de Frères et des Sœurs issus de classes sociales identiques à la leur, cela créé de la déception. Si vous rajoutez à cela quelques attitudes parfois cavalières de certains Maîtres, alors vous obtenez le cocktail idéal pour faire démissionner bon nombre de recrues récentes. Je me souviens d’une apprentie l’an dernier qui est venue me voir à l’issue de sa cérémonie d’initiation et m’a demandé si tous les Frères et Sœurs de la Loge étaient comme cela ? J’ai demandé ce que cela voulait dire ? Elle m’a répondu, avec ce genre de vêtements et ces chaussures là ! En fait, elle était surprise que les Sœurs ne portaient pas toutes des chaussures de chez Christian Louboutin et des sacs de chez Hermes !!! Je peux vous assurer que j’avais pourtant rencontré la candidate plusieurs fois et que j’avais été très clair sur ses attentes. La pression médiatique est tellement forte que bon nombre de candidats à l’initiation sont absolument certains que derrière les portes du temple se cachent tous les puissants de ce monde. Parfois je me demande même si certains, en remettant leur candidature, ne s’imaginent pas être candidat à Poudlard, vous savez l’école des sorciers d’Harry Potter !

Il ne faut évidement pas rejeter la faute aux médias, car ils ne font qu’exacerber  un jeu malsain qui fait le bonheur de certains maçons, ravis de pouvoir entretenir le mythe des supers pouvoir. La faute en revient en grande partie aux Francs-maçons selon moi ! C’est à nous de repenser notre Art, afin qu’il devienne intelligible pour les générations futures, au risque de disparaitre car vide de sens et ne répondant plus aux besoins des esprits tourmentés de notre société. 

 

- Comment pensez-vous aider les démissionnaires avec votre Manuel ?

Comme je viens de vous le dire, en travaillant sur les valeurs, sur la quête de sens, sur le symbolisme… en devenant soi même des modèles de Fraternité. J’écris le passage suivant dans le Manuel :

La question qui vient immédiatement à l’esprit est : « Mais où est donc cette Loge où doivent se cacher les maçons d’influence, ceux qui sont impressionnants et intelligents ? » Une chose semble pourtant certaine, notez que pratiquement aucune des personnes qui sont assises dans ce Temple ne serait devenue votre ami au dehors, si vous n’aviez pas en commun ce tablier. Même si la couleur est différente, au moins vous êtes vêtus de la même manière et vos gants sont les mêmes. Mais pour le reste, reconnaissez que jamais vous n’auriez pensé un jour pouvoir échanger avec ce genre de personnes. D’ailleurs, pour tout dire, la façon de parler de votre voisin vous énerve un peu, non ?

Il y a fort à parier que vous vous êtes déjà dit : « Ses réflexions ne sont pas toujours très intelligentes. Enfin bref, nous sommes Frères, mais une chose est certaine, nous ne sommes pas amis. » Bien entendu, chacun se reconnaît dans ces propos qui passent par la tête de bon nombre de maçons en Loge, déçus de ne pas avoir réussi à synchroniser le mental et la réalité. Nous assistons parfois dans notre petit monde merveilleux à des scènes pour le moins surprenantes. Certains auront peut-être déjà entendu les propos suivants : « Je n’ose même pas parler des vieilles histoires que m’ont racontées les Maîtres concernant la vie de la Loge. Il paraît que le précédent Vénérable est parti avec le Tronc de la veuve il y a deux ans… » Bon, tout ceci n’a évidemment rien de maçonnique et nous nous demandons ce que nous sommes venus faire dans cette galère. Il faut donc s’y résoudre, les maçons sont des humains comme les autres, avec leurs défauts et leurs qualités. Mais le pire, c’est que leurs qualités ne s’expriment pas de la même manière avec tous, et il en est de même avec leurs défauts. En résumé, nous avons affaire à des êtres imparfaits. La question première reste quand même : « Êtes-vous parfait vous-même ? ». En effet, pour être en contact avec des êtres parfaits, il faudrait l’être soi même. L’êtes-vous vraiment ? La réponse coule de source, non ? À votre plus grand dam, il est donc fort possible que vos Frères et Sœurs de Loge vous ressemblent un peu quand même…

Le but n’est pas de venir chercher un résultat rapide. La Franc-maçonnerie ne s’achète pas ? elle se cultive. Le principe consiste à glorifier le travail. J’aimerais rappeler ce que nous retrouvons dans nos rituels lorsqu’il est dit que nous sommes là pour « Ériger des autels à la vertu et creuser des tombeaux pour les vices ». La magie n’existe donc. Pour ce qui est des relations que nous nous faisons en Loge je rappelle aussi que : « Il sera plus rapide de prendre une carte de membre du Golf Club de Saint-Nom-la-Bretèche. Pour la modique somme de cinq cents euros par mois, vous rencontrerez nettement plus de gens influents que dans votre Loge actuelle. De plus, vous aurez même le droit de leur parler immédiatement, ce qui n’est actuellement pas le cas dans votre Atelier. »

En résumé, la méthode maçonnique repose sur « le travail ». Les personnes qui sont là peuvent être identiques à celles que vous croisez dehors, ce qui fait la grande différence, c’est qu’en Loge tout le monde est d’accord pour faire des progrès sur le chemin de l’évolution. C’est précisément le point de différence avec le monde profane.

- Comment voyez-vous la FM ? Pouvez-vous nous en parler ?

En effet, j’observe comme tout le monde l’évolution de la Franc-maçonnerie et j’essaie aussi de la situer dans son histoire. On ne peut pas dire que la Franc-maçonnerie d’aujourd’hui soit la même et joue le même rôle au sein de la société française que celle du 19ème siècle !

Tout d’abord, il convient de reconnaitre qu’elle n’est pas un bloc monolithique. Il existe la FM anglaise, la FM américaine… et la FM française et aucune des trois ne joue le même rôle. Ensuite, il est bon de rappeler que la FM française est divisée elle-même en un spectre d’obédiences couvrant des fonctions et des attentes très différentes. Il se créé actuellement une à deux nouvelles (micro) obédiences tous les mois. Il s’en ferme autant, mais constatons que ce grand corps est bien vivant et répond à des attentes très diverses. Pour être plus précis dans les chiffres prenons les 6 plus grosses obédiences de France :

·         le GO avec ses 1230 Loges et ses 52 000 Frères et Sœurs,

·         la GLdF avec ses 850 Loges et ses 34 000 Frères,

·         la GLNF avec ses 800 Loges et ses 20 000 Frères,

·         le DH avec ses 520 Loges et ses 17 000 Frères et Sœurs,

·         la GL-AMF avec ses 450 Loges et ses 15 000 Frères, et enfin

·         la GLFF avec ses 370 Loges et ses 14 000 Sœurs

Nous obtenons plus de 4200 Loges et 152 000 membres, soit environ 85 % des Francs-maçons de France qui sont regroupés dans ces six grosses structures. Presque un maçon sur trois est membre du Grand Orient de France. Cette influence est considérable. La philosophie qui anime chacune de ces obédiences est assez différente, sans parler de celles qui sont mixtes et celles qui ne le sont pas, ce qui amène forcément une énergie différente. La fonction  sociale qu’on retrouve au GO ou au DH n’est pas comparable à l’idéologie plutôt symboliste qu’on retrouve à la GLNF ou à la GLdF.

Il n’est évidement pas possible de porter le moindre jugement sur la qualité des travaux des obédiences, puisqu’on ne travaille jamais dans une obédience, mais plutôt dans une Loge. Je connais des Loges du GodF où le symbolisme est plus présent que dans la plupart des Loge de la GLdF. Le contraire existe aussi, car certains maçons ne voient dans la maçonnerie qu’une annexe du syndicalisme. Il n’existe donc aucune vérité définitive en la matière. Par ailleurs, vous pouvez trouver un réel travail sur le symbolisme durant le mandat d’un Vénérable Maitre, puis il descend de charge et tout s’écroule. La Loge devient par le mandat suivant une annexe de partie politique où tout le monde s’étripe avant que la Loge ne soit mise en sommeil. Il est donc assez difficile de porter un regard définitif et formel, mais surtout impossible de dresser le portrait robot d’une Loge type. La Franc-maçonnerie quant à elle est un corps vivant et évolutif, c’est ce large spectre de pratiques et de valeurs qui lui permet de survivre après trois siècles d’évolution.

Le profil étant globalement défini, parlons maintenant du rôle de la Franc-maçonnerie. Pour simplifier mon explication, j’ai l’habitude de dire que la Franc-maçonnerie est passé jusqu’alors par trois âges. Je situe la première période entre sa création et une période se situant plus ou moins vers la naissance de la République, c’est à dire vers la fin du 18ème siècle. Cette maçonnerie des débuts contient les mêmes germes symbolistes que ceux qui existent aujourd’hui, mais à cette époque, il est plus urgent de conquérir les territoires et de sécuriser les espaces terrestres. La Fraternité n’a donc pas nécessairement la même utilité. Le deuxième âge consiste selon moi à percevoir la Franc-maçonnerie comme une sorte de fer de lance des idées progressistes. Cette maçonnerie connaitra son apogée avec la IIIème République et sa forte implication dans la vie sociale du pays. La nature ayant horreur du vide, le pouvoir politique étant insuffisant, la maçonnerie remplira cette fonction de catalyseur des idées sociales.

Le troisième âge a débuté selon moi au lendemain de la guerre en 1945. L’action des nazis ayant anéanti les structures administratives, les Loges durent se reconstruire, se régénérer, mais l’essence nouvelle était porteuse d’un parfum différent. J’ai le sentiment profond que cette dernière étape a permis de donner naissance à un Franc-maçonnerie plus symboliste.

Les trente glorieuses, ce terme cher à l’économiste Jean Fourastier, a permis à la société française de découvrir une période plus sereine, dépourvue de grands conflits armés, de répondre aux nécessités matérielles… c’est justement dans cet esprit que la Franc-maçonnerie a pu s’ouvrir à des transformations prometteuses. Parmi celles-ci on peut citer une ouverture de la FM aux femmes. Car même si elles ne représentent que 18% des effectifs actuels, le machinisme à permis aux femmes de se libérer du joug des tâches ménagères. Il n’était pas aussi facile lorsque les mères de famille devaient assurer le maintient de la maison sans aucun appareil ménager, l’éducation de cinq ou six enfants, de venir s’épanouir en Loge. Le monde moderne est donc une opportunité pour les femmes. Il reste maintenant à travailler sur les esprits masculins pour que cette mixité devienne une norme acquise et reconnue. Il faut pour cela que les Frères apprivoisent leurs peurs.

Quel est le rôle du symbolisme dans la maçonnerie actuelle ?

En fait, je vais en faire bondir quelques-un(e)s, mais la maçonnerie sociale me semble être devenue totalement désuète et inutile dans notre société actuelle. Combien d’Apprentis rentrent en Loge en pensant changer la société ? Une fois rentrés, ils constatent que leur action est totalement inefficace. Sur les 152 000 maçons français, citez moi une seule Loge dont les travaux ont pu servir à l’avancée sociale dans un domaine quelconque ? Cette illusion d’œuvrer pour l’action sociale me fait penser à Chantecler, vous savez le Coq d’Edmond Rostand qui possédait un terrible secret. Il permettait au soleil de se lever chaque matin grâce à son chant. Eh bien bon nombre de maçons pensent que leurs travaux permettent à la société de progresser sur la voie de la démocratie. Tout cela n’est que leurre et vanité. Le travail sur le social en Loge n’a pour seul intérêt que de cultiver les Frères et Sœurs grâce à des connaissances techniques ou sociales. Les forces du marché qui gouvernent actuellement le monde n’attendent pas le résumé annuel de la question à l’étude des Loges pour définir ses orientations futures. En résumé, les plateformes démocratiques existent partout et la Franc-maçonnerie n’est qu’un lieu comme un autre, mais certainement pas une locomotive occulte ou discrète qui dirigerait en sous main les états. Si certains maçons ont besoin du mystère pour se sentir important en entretenant le mystère des Illuminatis, il leur serait peut-être utile de commencer à travailler sur le premier degré qui consiste à s’imprégner du fil à plomb, celui qui symbolise comme chacun le sait la rectitude de l’esprit et l’harmonie du cœur.

Ainsi, dans ce monde en mouvement, les esprits s’échauffent et les valeurs de respect de l’humain sont peu à peu remplacées par les valeurs de l’argent et du monde du spectacle. L’être humain étant peu à peu déraciné, recherche désespérément une boussole lui indiquant une nouvelle direction, en quête de bonheur et de bien-être. C’est là que la Franc-maçonnerie peut reprendre activement du service en apportant une réponse tangible. En effet, si une planche un soir de tenue, sur les OGM ou les bienfaits de l’euthanasie, ne change pas la face du monde, en revanche un travail sur la fonction symbolique du fil à plomb ou du niveau à plomb peut redonner de l’espoir à bon nombre de cherchants. Lorsqu’on explique à un Apprenti que le travail sur la verticalité du fil à plomb permet d’apprendre à son esprit à se tenir droit, à être les pieds ancrés dans le sol et la tête dans les étoiles, à devenir un Homme droit et respectable, il comprend rapidement que le respect de lui-même est au centre de l’instruction. Lorsqu’il découvre ensuite qu’au grade suivant, il apprend le respect de l’autre, l’échange et le partage avec l’autre, celui qu’il nomme le Frère ou la Sœur, il comprend là encore qu’on ne vient pas en Loge pour échapper à un ennuyeux programme TV ou encore, pour faire du café philo ou du café politique. On vient réellement pour apprendre à devenir des humains et à aimer cela. Nous sommes alors dans la culture des valeurs universelles, celle qui conduisent au respect, au progrès et à la réelle Fraternité.       

 

- Selon vous, d’où vient le problème d’image de la FM ?

Il me semble que la Franc-maçonnerie de ce début du XXIème siècle est encore enfermée dans son image des siècles précédents. Il convient de la repenser et de la remettre à sa juste place. Cela ne sera pas facile, car si vous posez la même question à dix Frères et Sœurs d’obédiences diverses, la perception et la réponse seront différentes. On peut même souligner que pour certains d’ailleurs, toute cette promotion annuelle dans les grands journaux, ce que nous nommons les marronniers, est une aubaine, car cela entretient le mythe qu’ils veulent eux même cultiver.  Quand certains maçons sont là pour les rencontres, pour les discussions, pour le seul fait de la Fraternité, tout cela est leur choix, mais après trente années de pratique assidue, ils ressemblent pour beaucoup à ce qu’ils étaient quand ils ont été initiés. Ils sont en FM comme certains sont entrés au Lyon’s Club ou au Rotary Club. Pour eux, il s’agit d’une forme de club service qui leur permet de maintenir une activité sociale, un réseau d’amis (qu’ils appellent mes Frères) et surtout, ils sont en paix avec leur conscience, car ils ne connaissent rien d’autre. Lorsqu’une Loge s’est peu à peu assoupie dans un ronron rassurant, qu’elle répète à chaque tenue son rituel sans saisir moindrement l’essence symbolique qui éveille la conscience, tout ceci est machinal et ressemble aux messes vides d’émotions de certaines églises contemporaines.

Vous pouvez penser que je suis dur dans mon jugement. En réalité, je suis plutôt réaliste et pragmatique. Si une voie initiatique se vide de son essence, ou encore, si elle perd ses valeurs fondamentales, elle finit par disparaitre. L’histoire du monde est remplie de méthodes diverses destinées à l’accomplissement. Jusqu’à ce jour on estime à plus de 6000 dieux et déesses à travers toutes les religions, croyances et sectes du monde, anciennes ou modernes, mortes ou en activité ayant servi aux humains. S’ils ne répondent plus aux besoins… ils disparaissent. Il en sera de même de la FM si elle ne s’adapte pas aux réalités de notre siècle naissant. Je connais des voies spirituelles qui subsistent après quelques milliers d’années. En revanche, je ne connais pas de club services qui survivent des siècles.

Pour répondre concrètement à votre question, une nouvelle catégorie de Francs-maçons doit prendre la parole, comme je le fais aujourd’hui pour réinventer l’image de notre Art Royal. Si nous commençons par pratiquer avec justesse, à faire rayonner autour de nous les bienfaits de la maçonnerie… puis enfin, à communiquer sur ces bienfaits, cela va se savoir. Ce n’est pas de la magie, c’est du travail sur notre pierre brute. Nous avançons sur la voie de la sagesse et nous rayonnons. Toujours à ce propos j’écris un passage que j’aimerais partager avec vous tant il répond à votre question :

Si vous êtes entré en Loge pour échapper aux répétitions que vous vivez au dehors, mauvaise pioche. Vous allez justement retrouver au dedans exactement les mêmes soucis et parfois même en pire. Parce que la confiance est en toile de fond et que vous baissez votre garde, ce qui vous rend donc particulièrement vulnérable. Vous pouvez crier au scandale ou à la trahison, mais cela ne changera rien. Vous pouvez changer de Loge ou d’Obédience mais ce sera pareil. Quel que soit votre problème, il vous suivra où que vous alliez. Vous pouvez aussi penser qu’il s’agit d’une malédiction. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’en est rien du tout.

Soyons réalistes, le vrai souci est que vous voulez échapper au problème, alors qu’il faudrait plutôt l’intégrer et pour cela s’en approcher de très près. Mais n’allons pas trop vite, nous y reviendrons plus tard. Tout maçon qui entre en Loge arrive avec ses vibrations et va obligatoirement attirer à lui (ou elle), les mêmes tortionnaires ou prédateurs qu’au-dehors. Ce que vous lisez peut vous sembler assez insupportable, pourtant c’est une réalité. Regardons-y de plus près.

Remarquez bien que le jour où vous vous cassez le bras, vous passez cette sale journée à croiser des gens au bras cassé dans la ville. Quelle coïncidence tout de même. Dans la même logique, lorsque vous changez de voiture, quel que soit le modèle choisi, vous allez en voir dans toutes les rues du quartier. De toutes les couleurs très certainement, mais le même modèle. Il est évident qu’aucune loi des séries n’engendre de bras cassés, ni aucun constructeur de véhicules ne diffuse plus de voitures le jour où vous prenez votre décision. La seule chose qui change, ce sont vos yeux ou plutôt votre regard qui se polarise sur des scènes qui vous sont totalement étrangères habituellement. Tout existe autour de vous à l’état latent, il suffi t d’y prêter attention pour que vous preniez conscience que cela existe. C’est donc votre conscience qui change et non pas les exemples autour de vous.

Dès que vous sortez de votre cocon et que vous devenez plus attentif, vous observez à l’extérieur ce que vous aviez sous les yeux depuis toujours, sans le voir. Un proverbe extrême-oriental dit que « Le Maître arrive lorsque l’élève est prêt ». Rien n’existe au dehors, il n’y a que vous et votre réalité perçue. Bien qu’elle puisse avoir l’apparence de la fiction, l’idée que l’observation crée partiellement la réalité est un produit de la science du XXe siècle. Elle a donné lieu à d’intenses débats, lors du cinquième congrès de Solvay en 1927, auquel Einstein, Bohr, etc. participèrent. Certains, comme John Wheeler ou John Von Neumann vont même plus loin en affirmant que l’observation est synonyme de conscience ! Voir aussi le principe de la complémentarité (Bohr) ou celui d’incertitude (Heisenberg). Donc, si vous pensez que le Monde est dangereux, si vous croyez que le Monde est cruel, vous avez sans aucun doute raison, tout cela existe bel et bien. Les faits vont d’ailleurs vous donner raison, car vous allez croiser à longueur de journées des vicieux, des tortionnaires et des traîtres. Ils existent et sévissent partout en ville. La preuve, les journaux en parlent. La confirmation suprême va venir de vos amis qui vont même être totalement en harmonie avec vous, témoignages à l’appui. En revanche, dans cette même ville, tous ceux qui pensent que le Monde est plutôt sûr et que la confiance règne ont également raison, d’ailleurs il est rare que quelque chose de mal leur arrive. Mais dans ce cas, les journaux n’en parlent pas car alors personne ne les achèterait. C’est bien connu, seuls les trains qui déraillent intéressent les gens.

Si vous désirez éditer un journal des horreurs, vous allez chaque matin trouver des milliers de faits divers qui vont remplir vos colonnes. Le monde tout entier est rempli de choses abominables. Mais si vous désirez devenir éditeur d’un journal des choses merveilleuses et belles de cette Terre, vous allez pouvoir remplir des millions de pages, car chaque jour, la Terre est remplie de milliards de faits qui peuvent le prouver. Restons dans la même logique encore un instant. Tout le monde sait que « Les hommes politiques sont tous des corrompus et des vendus. Ils s’enrichissent tous sur le dos des citoyens ». Tout le monde a entendu ce propos dans la bouche de son beau-frère. Mais si vous lui demandez à ce même beau-frère, combien il existe d’élus en France ? Il sera bien incapable de vous dire qu’ils sont au total 601 132 élus. Il sera aussi incapable de vous dire que plus de 80 % des 519 417 conseillers municipaux que compte notre pays ne gagnent même pas le SMIC de par leur fonction. Leur dévouement leur coûte de l’argent et ils paient de leur personne pour rendre service à la Société. Donc oui, c’est vrai, il existe quelques dizaines de politiciens véreux. Mais cela représente quel infime pourcentage de notre demi-million d’élus ? Peut-on décréter ainsi que le monde politique est pourri parce que les médias se sont fait l’écho des brebis galeuses ? Fort de ces observations, doit on dire que la vie est belle et que les Êtres humains sont merveilleux, ou doit-on penser que nous vivons sur une Terre atroce qui est remplie de dangereux criminels ?

Si nous partions du principe que chaque Être humain peut être capable du meilleur comme du pire, nous gagnerions du temps dans notre Loge. Je parle évidemment des Êtres humains que nous y rencontrons. En pensant ainsi, nous éviterions d’avoir des attentes trop importantes. Les Humains qui sont là sont comme vous et moi. Ils ont leur côté soleil et leur côté lune. Leur Lumière et leurs ténèbres. Souvenons-nous qu’on trouve chez les maçons les meilleurs, comme Victor Schoelcher, à qui nous devons la fin de l’esclavage ou Louis Armstrong, qui grâce à sa trompette, nous expliqua ce qu’est un monde merveilleux.

Nous y trouvons aussi les pires. Pour preuve, au Chili, un certain Salvador Allende en 1941 fut le parrain malheureux d’un Frère de brève durée nommé Augusto Pinochet. À la même période, deux Frères d’un grade respectable, Jean Mamy et Jean Marquès-Rivière, deviennent des collaborateurs de la cause nazie pour réaliser le film de propagande Forces occultes. De tels exemples, tant en bien qu’en mal, existent à l’infini. Nous prenons des exemples connus ou démonstratifs, mais n’oublions pas qu’il existe des millions de petits témoignages à l’échelle de chacun de nous pour étayer ce propos et démontrer que l’Être humain, est à la fois parfait et diabolique. Tout dépend de tellement de facteurs. Il ne faut donc pas attendre une rencontre magique ou transcendantale lors de son entrée en Loge. Des miracles vont en effet se produire, mais certainement pas ceux que nous attendons. Comme nous l’a enseigné le sage Gandhi : « Dieu ne t’apparaît pas en personne, mais en action ». La magie de la Vie est comme la magie de la Franc-maçonnerie. Chaque jour se produisent des dizaines de micro miracles. Si nous savons observer, ils sont partout présents, mais rien de démonstratif ou de fantastique. Ce ne sont jamais de grands miracles extraordinaires, mais plutôt tout plein de petits détails magiques, tout simples, qui après vingt ans de pratique, nous rendent meilleurs. Cette mutation profonde qui s’opère après de longues années, c’est cela le grand miracle de notre pratique maçonnique. Surtout si nous savons utiliser le matériau humain qui se dégage de nos relations avec nos Frères et Sœurs de la Loge, pour grandir et pour révéler la Lumière qui est déjà en nous. Si vous attendez le miracle d’une révélation extérieure, sous la forme d’une apparition en Loge, lâchez le tablier et allez immédiatement à Lourdes ou à Lisieux, car rien ne se passera, ni dans votre Loge, ni dans aucune autre d’ailleurs.

 

- Vers quoi va évoluer la FM selon vous ?

Comme il est dit généralement aux jeunes apprentis, tu ne seras jamais déçu par la FM, seuls les Francs-maçons pourront te décevoir. C’est assez vrai et la Franc-maçonnerie va devenir ce que nous en faisons au quotidien. Actuellement, grâce à l’arrivée progressive des Sœurs dans des Loges, qui étaient traditionnellement masculines, la FM va se féminiser. A chaque fois que les femmes s’approprient un espace, elles le socialisent et le rendent encore plus humain. Si nous prenons des exemples dans l’évolution du machinisme, c’est l’utilisation des automobiles par les femmes qui a rendu cet engin initialement barbare en un véhicule intelligent et socialisé. Il en est de même avec l’informatique. La mixité va permettre à la Franc-maçonnerie de devenir plus sensible et plus symboliste qu’elle ne pouvait l’être avec les hommes. La valeur chez l’homme se matérialise par l’action, quant chez la femme elle s’exprime par le ressenti. Une femme va dire à un homme « Je dois te parler », l’homme pense aussitôt « Que dois-je donc faire ? ». Notre éducation nous a traditionnellement conduit à confondre ce que nous sommes et ce que nous faisons. Je me plais souvent à dire que « je ne suis pas maçon », mais plutôt « je fais le maçon ». Cette subtilité est plus rapidement comprise par une assemblée féminine. La richesse de la mixité permet justement de cultiver l’union des contraires. Le féminin et le masculin sont les composantes élémentaires de notre être, comment peut-on travailler sans la partie absente ?

Pour conclure sur ce chapitre de la mixité je voudrais partager avec vous une anecdote récente. Avec mon complice Alain Subrebost qui est bien connu des abonnés de GADLU.info, nous lançons dans quelques semaines le site pour Frères et Sœurs qui souhaitent se rencontrer par affinité maçonnique. Chacun le comprendra aisément, il ne s’agit pas d’un outil d’entremise sexuelle, les sites de rencontres classiques font déjà cela très bien. Il s’agit dans notre cas d’une forme de Chaine d’Union numérique pour servir de lien entre les Francs-maçons d’Europe. Pour vous démontrer à quel point il reste encore beaucoup de chemin à faire. A peine l’information de ce lancement était passée dans le Blog de l’Express que j’avais le lendemain des appels de diverses organisations maçonniques qui ne voulaient surtout pas être citées dans ce projet « honteux ». Je vous avoue que cela ne m’a étonné qu’à moitié. Je souris car me suis surpris à déclarer à un Frère qui m’annonçait qu’il ne fallait surtout plus parler de sa structure : « Mon Bien Aimé Frère, je crois bien que Coluche avait raison quand il disait que la morale devient rigide quand le reste ne l’est plus ! ». Lorsqu’on confond à ce point rencontre et libertinage, cela relève de la paranoïa.  

Nous savons déjà Alain et moi que ce projet répond à un besoin et qu’il sera un succès durable. Nous savons aussi que ce jour là, ces mêmes structures frileuses seront les premières à déclarer qu’elles nous ont soutenues depuis la première minute. En maçonnerie comme ailleurs, les résistants sont plus nombreux au lendemain de la guerre qu’au début du conflit.

Ainsi, il m’apparait évident que la Franc-maçonnerie va évoluer si elle veut survivre dans notre société moderne au risque de se noyer dans les clubs services déjà en place. Sa vocation initiatique et spirituelle est une réponse absolument parfaite aux besoins de notre époque. Je prédis un long avenir à notre Art Royal si nous savons communiquer autrement. Pour communiquer de manière efficace, rien ne vaut l’exemple. Si chaque Franc-maçon se fait un point d’honneur à se respecter, à respecter les autres et surtout, à refuser les dérives comme celles dont je parle au début de notre entretien, alors oui, la Franc-maçonnerie a de très beaux jours devant elle. Comme j’ai prévu d’être là encore de longues années, je vais justement faire partie de ce nouvel élan.